« La médecine chinoise, l’être humain en 3D. »

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CAROLE PILLET, 21/09/2015. INREES.

 » Aux antipodes de la conception occidentale de la santé, la médecine chinoise envisage l’être humain dans sa globalité, traitant le visible et l’invisible comme un tout indissociable. Une lecture de la vie entre pragmatisme et poésie.

Les principes de la médecine chinoise sont apparus près de 3000 ans avant J-C, à la cour des premiers empereurs chinois. C’est à cette même époque que fut écrit le Yi King ( « Le Livre des Transformations ») et que naquit le Feng Shui, l’art de vivre en harmonie avec les énergies naturelles. Dotés d’outils techniques et précis encore utilisés actuellement, les médecins chinois ont bâti leur savoir sur l’observation empirique de la vie. La nature a été le premier référentiel de la médecine chinoise, en s’appuyant notamment sur le cycle des saisons. Printemps, été, intersaison (entre le printemps et l’automne), automne et hiver se caractérisent par des énergies différentes et sont symbolisés par cinq éléments : le Bois, le Feu, la Terre, le Métal et l’Eau. Ces éléments influencent tout le cycle de la vie en général et les êtres humains en particulier.

La vie humaine est perçue dans sa globalité. 

« Les Chinois distinguent trois dimensions : le corps, l’âme et l’esprit », explique Christophe Allix, médecin et praticien de médecine chinoise doublement diplômé en France et à l’Institut de Médecine et de Pharmacologie de Pékin. « Dans la Grèce antique, on parlait de la triade soma – psyche – pneuma, sous l’empire Romain, on distinguait le corpus, l’anima et le spiritus. Les Chinois ont eu la même lecture des milliers d’années auparavant. » 

Organes yin et entrailles yang.

Le corps humain, dans la vision chinoise, est traversé par un principe vital : le Qi. Celui-ci se divise en différents courants énergétiques, un peu à la manière d’un réseau électrique. Ces méridiens, dont les principaux sont au nombre de 12, font circuler l’énergie dans tout le corps et sont directement impactés par les cinq éléments. Le méridien du foie et de la vésicule biliaire, par exemple, est directement influencé par l’élément Bois, caractéristique du printemps. On comprend ainsi que chaque saison va impacter directement certains méridiens plus que d’autres. 

Si l’on regarde plus profondément dans le corps, chaque organe ou entraille, en plus d’être traversé par un méridien, a un principe yin ou yang selon qu’on le relie à tel ou tel autre organe ou entraille. Le yin et le yang sont les oppositions que l’on retrouve dans la nature, comme l’ombre et la lumière, le froid et le chaud, le principe féminin et le principe masculin. « Opposés mais complémentaires », précise Christophe Allix. Chaque organe principal du corps comme le foie, l’estomac, le cœur, les poumons et la rate, est yin (donne l’information) par rapport à son entraille associée. A l’inverse, chaque entraille associée à cet organe est yang (elle exécute). 

De l’émotion au corps, du corps à l’émotion.

La médecine chinoise a ceci de radicalement différent de la médecine occidentale qu’elle considère les émotions comme ayant une influence directe sur le corps et la santé, et qu’à l’inverse, l’état du corps influence la pensée et les émotions de l’être humain.

Chaque organe symbolise ainsi une émotion. La colère pour le foie, la joie pour le cœur, les soucis pour la rate, la tristesse pour les poumons, la peur pour les reins. Une colère intérieure et non exprimée va provoquer un excès de Qi dans le foie et celui-ci remplira mal sa fonction de filtre de l’organisme. De même, un repas trop copieux et arrosé surchargera ce dernier et pourra générer des rêves violents pendant la nuit (le foie est également lié à la vie onirique). Lors d’une visite chez un médecin chinois, celui-ci ne se contente pas d’examiner le corps du patient. Il lui pose également de nombreuses questions sur ses émotions, son état d’esprit, ses envies, ses désirs, ses frustrations. Toutes les réponses sont des données essentielles pour le praticien, au même titre que la prise des pouls et l’inspection de la langue, par exemple. « La médecine chinoise est particulièrement appréciée pour prévenir les maladies liées au stress généré par nos modes de vies », précise Manola Souvanlasy, médecin formée aux médecines occidentale et chinoise.

La maladie, une rupture de l’équilibre

La médecine chinoise est basée sur la prévention et considère ainsi que la santé réside dans l’équilibre entre le yin et le yang. L’énergie est en perpétuel mouvement et agit comme dans un système de vases communicants. Il s’agit alors de maintenir une circulation harmonieuse. Mais lorsqu’une personne n’est pas bien dans sa vie et n’arrive pas à gérer ses émotions, l’équilibre est rompu : le corps réagit et la maladie survient, comme un signal d’alarme. « Le corps est comme un instrument que l’on doit accorder, explique Christophe Allix, s’il est désaccordé, il ne peut plus jouer harmonieusement. Le travail du médecin est de rétablir la bonne circulation du Qi ».

Pour ce faire, le praticien a plusieurs outils à sa disposition. Le premier est la diététique. L’alimentation est, dans la médecine chinoise, la base d’une bonne santé. Chaque aliment est composé des cinq éléments en différentes proportions (+ de feu, – d’eau etc…), l’ajustement peut ainsi se faire en fonction des manques ou excès dans le corps du patient. Les plantes sont également largement utilisées pour réguler les émotions.

L’acupuncture est la technique de soin la plus connue en Occident.

Le praticien sollicite différents points des méridiens qui l’intéressent à l’aide de fines aiguilles. « A noter que ces points en médecine chinoise sont les mêmes que ceux sur lesquels se basent les arts martiaux, ajoute Christophe Allix, ils peuvent à la fois être utilisés pour soigner ou pour blesser ». A la diététique et l’acupuncture s’ajoutent d’autres techniques de soins comme les massages, la technique ancestrale des ventouses, la réflexologie plantaire, la gymnastique traditionnelle Qi Gong (qui signifie littéralement « travailler le Qi »)…

Prévenir plutôt que guérir

A l’inverse de la médecine occidentale qui traite le symptôme, la médecine chinoise traite le terrain. Elle part du principe que traiter uniquement le symptôme comme un phénomène indépendant ne guérit pas la personne et que la maladie reviendra si la cause du mal n’est diagnostiquée. Ainsi, c’est toute une hygiène de vie que préconise la médecine chinoise quand, en Occident, le corps est vu comme une machine dont chaque pièce est indépendante et qu’il suffit de changer.

En outre, la médecine chinoise intègre une dimension éducative. Le praticien enseigne au patient les vertus de la diététique, du sport et des soins du corps. Il ne le materne pas mais le responsabilise. Chaque personne doit posséder le savoir de la bonne santé alors qu’en médecine occidentale, le patient est déresponsabilisé et parfois à la merci du corps médical. « En Chine, la visite des pharmacies traditionnelles est une sortie dominicale qui se fait en famille », note Christophe Allix.

Un pont se construit doucement entre médecine chinoise et occidentale

Les premiers rapprochements entre médecines chinoise et occidentale remontent à l’époque de Louis XIV par l’intermédiaire des Jésuites. Mais ce n’est qu’au début du XXeme siècle que le diplomate George Soulié de Morant, fit découvrir à une élite française les préceptes de la médecine chinoise.

Aujourd’hui, ces deux médecines basées sur des principes diamétralement opposés peuvent s’unir pour le meilleur. La médecine occidentale est à la pointe de la technique pour diagnostiquer, opérer et traiter les maladies graves. « La vision holistique de la médecine chinoise peut lui apporter ce qu’il lui manque : une compréhension des phénomènes dans leur globalité, des causes non seulement physiques mais émotionnelles et mentales de la maladie ainsi qu’une dimension préventive non négligeable », explique Manola Souvanlasy. Aujourd’hui, en France, la médecine chinoise apparait progressivement dans des lieux où elle n’était pas la bienvenue il y a encore quelques années. C’est le cas à l’hôpital de la Salpetrière, à Paris, qui utilise l’acupuncture depuis 2011 pour soulager la douleur chez les patients. Les techniques de soins chinoises y sont particulièrement appréciées pour traiter les effets secondaires des traitements lourds de la médecine occidentale. 
Un premier pas encourageant, qui participe à l’ouverture de la médecine occidentale sur une autre vision du vivant. » »

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