Méditation par Fabrice Midal

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La rédaction, PUBLIÉ LE 10/06/2015, INREES.

Commencer la méditation, l’idée est séduisante, mais vous ne savez pas toujours comment vous y prendre. Fabrice Midal, philosophe spécialiste du bouddhisme et fondateur de l’Ecole occidentale de Méditation, répond à quelques unes de vos questions.

Quelle est la différence entre réfléchir et méditer ?

Réfléchir implique de penser à quelque chose, tandis que méditer consiste à être ouvert à tout ce qui se passe, aux sensations, aux pensées et aux émotions qui nous traversent. Nous ne nous occupons pas du contenu des expériences que nous traversons, nous n’essayons pas d’en tirer une conclusion, de les analyser, mais simplement nous faisons attention à leur manière d’être.

Par cet exercice nous découvrons que nous sommes souvent peu attentifs à ce qui nous arrive, vivant comme en pilotage automatique — et donc peu en rapport à notre propre vie.

Privés d’un rapport réel et vivant à ce que nous vivons, nous prenons bien souvent trop au sérieux les pensées et les émotions qui nous traversent. Pourtant, ce n’est pas nécessairement parce que vous ressentez de la colère que la personne en face de vous exagère ! Méditer permet d’établir un lien plus sain et plus juste à ce que nous vivons, moment après moment, jour après jour. 

Pourquoi associe-t-on la méditation au « lâcher-prise » ?

Méditer consiste en effet à lâcher-prise de toute volonté de saisir ce que nous vivons  — en étiquetant nos pensées, en figeant nos émotions, en s’identifiant à ce qui nous arrive. Ainsi nous ratons un examen et nous en concluons « je suis nul », nous bredouillons en public, « je suis timide », elle me regarde, « je suis aimable ».

Pour faire pleinement l’expérience de ce qui est, tel qu’il est, nous devons abandonner nos idées reçues et nos préventions. Telle est précisément la ressource de l’attention : observer simplement ce qui est pour le laisser être. En ce sens, l’attention nue est un mouvement qui implique un lâcher-prise. 

Je vis la méditation durant mes longues marches solitaires où mon mental semble en dormance. Puis-je considérer que je médite ?

Certes tout être humain a fait d’une manière plus ou moins nette l’expérience d’un état de méditation, c’est-à-dire d’un état de présence. Que ce soit en marchant dans la nature, en écoutant de la musique, en prenant sa douche, en mangeant un fruit mûr ou en étant auprès d’un être aimé.

Mais ce n’est pas l’essentiel. Méditer est d’abord un travail ardu pour se confronter à ce qui entrave la présence et non pas seulement pour la célébrer. Certes, la méditation nous met en rapport à ce sens d’unité et de paix, mais au premier chef parce qu’elle nous apprend à travailler avec les ombres.

Comme l’explique Chögyam Trungpa : « La méditation ne consiste pas à essayer d’atteindre l’extase, la félicité spirituelle ou la tranquillité, ni à tenter de s’améliorer. Elle consiste simplement à créer un espace où il est possible de déployer et défaire nos jeux névrotiques, nos auto-illusions, nos peurs et nos espoirs cachés. Nous produisons cet espace par le simple recours à la discipline consistant à ne rien faire. » (Chögyam Trungpa, Le mythe de la liberté, Paris, Éd. du Seuil, 1979, p. 16.) Faute d’une confrontation réelle à nos propres manques, à nos propres peurs, nous n’entrons pas dans la profondeur de la présence.

En ce sens la méditation n’est pas un état mais une pratique. 

Pourquoi méditer est si difficile ? 

La méditation est simple, mais comme tout ce qui est simple, elle demande un grand investissement personnel. Il faut beaucoup de travail pour trouver la simplicité. Un chanteur, un ébéniste, un sportif de haut niveau diraient probablement la même chose. Le simple se gagne en traversant ce qui l’obstrue. La difficulté propre à la méditation tient à ce qu’elle nous confronte à tout ce qui restreint notre vie. Elle fait apparaître en pleine lumière le cadre étroit où nous nous sommes enfermés, souvent sans même nous en rendre compte. Or nous préférerions que l’on nous réconforte, que l’on nous dise que tout ira bien, que nous allons obtenir tout ce que nous voulons et passer un bon moment. Or la méditation nous confronte à nos difficultés. Elle n’est en rien une sinécure. C’est paradoxalement pourquoi elle est si précieuse. Habituellement, face à cette angoisse de fond, à cette incertitude, nous cherchons à nous enfuir au loin : partir en vacances, regarder la télévision, « communiquer » avec « les autres ». La méditation est une attitude réaliste. Elle nous invite à ne pas rêver les yeux ouverts, à ne plus fuir nos difficultés. A prendre notre vie en main. 

Peut-on ressentir des effets de la méditation dès la première séance, ou faut-il plusieurs mois ou années pour avoir un résultat ? 

Dès la première séance, il se passe quelque chose. L’expérience est différente pour chacun mais vous vous posez. Vous vous sentez respirer. Vous découvrez un sens de présence qui ne dépend d’aucune circonstance extérieure pour se manifester. Vous savez, pour pratiquer comme il faut, il suffit de le faire tel que vous êtes. Si vous êtes en pleine forme ou déprimé, triste ou joyeux, plein de doutes ou de peurs, malade ou en bonne santé, amoureux ou le cœur brisé, alors vous êtes dans la situation idéale pour pratiquer. Méditer n’est pas réussir quelque chose, mais simplement s’ouvrir à ce que nous sommes, être attentif à ce qui est. 

Qu’est-ce qu’une méditation réussie ? 

Il n’y a pas de méditation réussie et il n’y pas de méditation ratée. Notre idée de maîtrise et de contrôle, notre obsession du résultat, qui déterminent tant de nos actions ne sont pas ici nécessaires. Si la méditation a un sens, il consiste précisément à nous délivrer du règne de l’efficacité à tout prix.

De toute façon, quoi que nous fassions, parfois notre méditation sera merveilleuse : nous sommes par exemple pleinement présent dans une profonde détente. Parfois, notre méditation sera au contraire difficile, parce que nous sommes alors confronté à des tourments, des inquiétudes diverses. Une expérience n’est pas meilleure que l’autre. Certes tous les pseudo-gurus prétendent que grâce à la méditation on obtient tel et tel résultat. Ils vous font saliver. Leurs promesses rassurent et leur attirent une armée de disciples. Mais ils ne rendent service à personne. 

Alors la méditation, ça ne sert à rien ? 

Absolument. La méditation ne sert à rien. Ou si je voulais être plus précis, je devrais dire que la finalité de la méditation est d’être une finalité sans aucune fin représentable. C’est son seul intérêt. C’est pourquoi vous ne pouvez ni la réussir ni la rater. N’est-ce pas un profond soulagement ? 
Il y a suffisamment de choses dans la vie qu’il faut à tout prix réussir, pour lesquelles il faut ajuster des moyens en vue de fins déterminées…Mesurer ses efforts pour accomplir telle ou telle tâche, réussir tel examen ou telle présentation en public. Là vous avez le droit de vous poser, d’être tel que vous êtes. C’est un geste d’une bienveillance radicale. 

Imaginer que la méditation sera réussie parce qu’on aura atteint un état de paix parfait est une impasse. A la première contrariété de la vie, on sera fâché de perdre cette paix si difficilement atteinte. On va ainsi renforcer le sentiment de lutte et de séparation. Quelle souffrance ! C’est uniquement en abandonnant l’idée d’utiliser la méditation qu’on lui permettra de transformer notre existence pour de bon. Nous pourrons ainsi découvrir qu’il y a autre chose au-delà de « moi-moi-moi et mes problèmes ». 

Y-a-t-il une manière de mesurer ses progrès ?

Il vaut mieux abandonner toute idée de progrès. La tradition explique que le chemin est le but. Il n’y a pas d’autre finalité que la pratique elle-même. En ce sens le maître Zen Shunryu Suzuki disait que chaque fois que l’on s’assoit, là est l’éveil. Il ne se trouve pas dans le futur. La seule raison de pratiquer est d’être pleinement ouvert à ce qui est, là, maintenant. 

Le problème avec l’idée de progrès est qu’elle nous conduit à nous projeter dans l’avenir et à dénigrer l’expérience présente. Or la méditation nous invite à nous abandonner sans conditions au présent vivant, sans rien espérer, sans rien attendre, sans chercher à avoir un retour sur bénéfice.

Toute expérience positive qui est décrite entraîne le désir de l’atteindre. Elle nous empêche alors de nous ouvrir sans conditions au présent. C’est un piège. 
Mais ceci reconnu, bien sûr que la pratique agit en vous. Elle est même une voie de transformation décisive. Le critère ici est tout simple : si vous êtes plus doux, joyeux, ouvert et en rapport à la réalité, si vous avez le sentiment d’être plus vivant, d’avoir moins peur de qui vous êtes, alors vous êtes sur le chemin. Il suffit de vouloir atteindre cependant un tel état pour le manquer. Car ce qui vous rend plus doux et vivant, ce n’est pas de l’avoir décidé, c’est d’avoir accepté d’entrer pleinement en relation avec qui vous êtes. De n’avoir plus aucun but. 

Cette vérité est confirmée par le fait que si la méditation nous transforme, ce n’est aucunement selon les projets que nous avons élaborés. Si je regarde avec honnêteté la motivation que j’avais quand j’ai commencé à pratiquer, je me rends compte qu’elle était étroite et peu juste. Je voulais pratiquer pour me débarrasser de moi-même, manquant de toute affection pour qui j’étais. La méditation ne m’a pas du tout conduit dans les pays que je voulais visiter. Elle m’a fait entrer plus profondément en rapport à ce que je suis et à faire un peu la paix avec moi.

 Méditer, c’est faire confiance dans les ressources de la pratique. 

A quoi est-on censé penser si la méditation ne consiste pas à faire le vide ?

Soyez simplement présent à ce qui survient, peu importe ce qui survient. Votre corps est là, la respiration est là, le silence est là… Ce n’est pas vide mais plein, vivant. Le philosophe Kierkegaard disait : « La vie et le monde tel que nous le connaissons sont gravement malades. Si j’étais médecin et que l’on me demandait mon avis sur les hommes, je répondrais : Du silence ! Prescrivez-leur du silence ! » Kierkegaard était visionnaire. Aujourd’hui l’idée de ne rien faire terrorise le monde. 

Cette situation cause dans notre société de nombreux problèmes. Les gens ont l’impression d’être vivants seulement quand ils s’enivrent d’émotions fortes, par exemple en pratiquant des sports extrêmes, en regardant des films d’horreur ou chez les jeunes en s’adonnant au binge drinking…

Et puis ensuite, d’avoir ressenti tant d’émotions fortes, chacun veut faire le vide, de la même manière qu’il éteindrait la télévision ou l’aspirateur — c’est-à-dire comme on débranche un appareil ou l’on vide un dossier informatique. Mais notre être n’est pas une machine ! Nous n’avons pas à nous vider.
On veut faire le vide parce qu’on n’a pas réussi à établir un rapport réel aux choses. Et saturé de l’agitation habituelle, on veut se couper de tout au point même de s’abrutir. La méditation n’a rien à voir avec cette réaction. Ni fuir dans l’excitation, ni s’anéantir dans le vide — mais être pleinement, enfin. 

Comment être sûr de ne pas se tromper dans la pratique ?

D’abord, abandonnez l’idée qu’on puisse se tromper ou que l’on puisse réussir. Cela peut surprendre, mais la première expérience de la méditation est souvent déroutante pour ne pas dire inconfortable. Contre toute attente, vous découvrez que votre esprit est agité. Cela ne vous plaît pas du tout. S’y confronter est cependant salutaire. Méditer n’est pas être en état de paix, mais travailler avec ce que vous êtes. La vie est comme ça ! Des gens que vous aimez sont parfois malades, d’autres vous font de la peine. Personne de toute façon n’obtiendra tout ce qu’il veut. Il vaut donc mieux abandonner tout projet. 
Si la méditation consistait à se tenir pendant des heures sur une seule main en récitant des formules complexes, à force d’efforts nous finirions peut-être bien par y arriver. Mais la méditation consiste à simplement être assis, le dos droit, attentif à ce qui est, attentif au souffle qui entre et qui sort. Elle déjoue tous nos projets d’accomplissement personnel. Son génie est son extrême simplicité. Voilà pourquoi vous ne pouvez pas la rater.

Mais cependant cette simplicité ne s’appréhende que si l’on en reconnaît aussi la profondeur. Les ouvrages qui en détaillent le sens et la portée sont, dans la tradition bouddhique, d’une finesse d’analyse impressionnante. On a d’autant plus confiance dans notre pratique que l’on comprend en détail le sens et la portée de la méditation. 

La méditation n’est-elle pas la recherche de la fameuse paix intérieure ? 

Rechercher la paix intérieure est un piège redoutable. Dès qu’on l’évoque, on ne va pas manquer de la fabriquer. Je connais plein de gens intoxiqués à la paix intérieure. Ils essaient de rester paisibles parce qu’ils ont peur des défis. Ils ont peur de la vie. Ils sont déprimés ou tristes : alors ils respirent pour rester « zen ». Une émotion les submerge : vite un peu de « méditation » ! 

Leur pratique vise à les calmer ! C’est un peu dérisoire, non ? 

Quand vous regardez la vie des grands pratiquants de la tradition bouddhiste, mais aussi celle des saints, des artistes, de tous ceux qui sont en rapport à cette pleine présence, les défis qu’ils rencontrent ne sont pas amoindris par leur pratique, mais ils sont au contraire de plus en plus vifs, difficiles même. Ce n’est que dans la propagande spirituelle vendue comme un produit commercial qu’on parle de paix intérieure. 

Lisez la vie de Milarépa (1040-1123), le grand maître de la tradition tibétaine. Il part dans son ermitage en retraite, quand des monstres et des démons l’attaquent. Il tente de les calmer. Il invoque pour ce faire son maître, récite des formules magiques. Mais rien n’y fait. C’est uniquement quand il renonce, quand il consent à leur présence, qu’ils cessent de le terroriser. Milarépa ne s’est pas installé dans la paix intérieure. Sa méditation est une aventure, une confrontation aux difficultés de l’existence. Vivre n’est pas s’arrêter sur une aire de repos.

Personnellement, par la pratique de la méditation, je n’ai pas trouvé la paix parfaite, me préservant de toute souffrance et inquiétude, mais je la vis comme une aventure passionnante. Certains vont escalader l’Himalaya. Je ne pense pas que ce soit aussi palpitant que de pratiquer la méditation. En méditant, vous allez traverser des paysages incroyables, rencontrer de grands défis. Vous allez entrer dans l’ampleur de la vie. C’est magnifique ! Je comprends bien cependant votre question. J’ai eu la même. Il y a bien des années, j’ai écrit un livre avec un évêque, Monseigneur Dubost. Quand le travail fut achevé, nous avons dîné ensemble. Il m’a alors parlé des retraites spirituelles qu’il faisait chaque année dans un monastère où les moines vivaient retirés du monde dans une grande solitude. « Quelle chance, lui dis-je, ces moines qui peuvent se consacrer à la vie spirituelle doivent certainement découvrir la paix. » Et là, il m’a répondu : « Mais pas du tout, ne vous trompez pas, ils vivent un combat profond. » J’ai reçu ce soir là une belle leçon. Comme l’écrit Rimbaud : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille des hommes. » Tous les pratiquants qui sont entrés pour de bon dans le chemin le disent. Il faut cesser de rêver. La méditation est un combat sain et positif qui consiste à travailler avec la peur et l’angoisse. Elle n’est pas une partie de plaisir, une façon de se détendre. Un produit concurrent aux productions de Walt Disney.

La méditation tranche le brouillard, aussi bien celui de l’esprit que celui du cœur. 

Je vais vous raconter une de mes histoires préférées de la tradition bouddhique. Quand Marpa (le maître qui introduisit le bouddhisme indien au Tibet au XIIe siècle) perdit son fils dans un accident de cheval, il en fut profondément atteint. Il l’aimait profondément et l’avait éduqué pour qu’il puisse lui succéder dans ses responsabilités spirituelles. Les gens lui demandèrent alors : « Mais je croyais que la méditation donnait la paix intérieure ? (Vous voyez, c’est une vieille histoire !). La mort de ton fils est une simple illusion. » Ou encore : « Si tu souffres, c’est que tu es encore dans l’attachement. » 

Marpa répondit alors : « La mort de mon fils est une super-illusion. »
 
Quelle magnifique réponse, si profondément humaine ! 

Cette phrase, que l’on retrouve dans l’ouvrage de Chögyam Trungpa Pratique de la voie tibétaine, est d’une grande profondeur. Roland Barthes l’a reprise en quatrième de couverture de La chambre claire. C’est particulièrement émouvant, car ce livre, vous le savez sans doute, est une méditation saisissante sur la mort de sa propre mère. 

Quand la vie blesse, quand vous êtes submergé par une émotion, la voie ne consiste pas à vous réfugier dans un abri douillet de paix. Respirer pour ne plus être stressé. Ne plus rien ressentir. Elle consiste à accepter les épreuves. A reconnaître que sans ombre, il n’y a de lumière qu’artificielle ! N’ayez plus peur de vos émotions et de la vie. Voilà la paix véritable ! Voilà la leçon de la méditation. 

Si dans la méditation on doit chaque fois que nous pensons revenir au moment présent, est-ce parce que penser est un problème ? 

Penser n’est pas en soi un problème ! Il est même au contraire merveilleux que nous ayons cette faculté ! Mais penser dans le présent n’est pas penser de façon désincarnée et abstraitement. Il est tout à fait différent d’écouter quelqu’un quand il vous parle, que de ne pas l’écouter parce que vous pensez déjà à autre chose. 

Nous en faisons l’expérience tout le temps. Nous sommes confrontés à tant de gens qui n’écoutent pas, parlent sans être véritablement en rapport à ce qu’ils vivent, prisonniers de leur bavardage mental incessant, de leurs attentes et de leurs obsessions. 

Ce que nous découvrons dans la pratique, c’est que loin de penser, nous ressassons un ensemble d’idées fixes. Et nous vivons comme s’il y avait en nous un pilote automatique. Vous allez prendre votre douche et vous vous retrouvez en bas dans la rue, sans avoir de conscience claire de ce qui s’est passé entre le moment où vous êtes entré dans la salle de bain et cet instant précis. 

En ce sens, méditer c’est aussi apprendre à penser, c’est-à-dire apprendre à rendre à la pensée sa portée véritable. La désobstruer. Peut-on se mettre en état de méditation tout en continuant ses activités du quotidien ?

En un sens, non. La pratique de la méditation consiste en quelque sorte à faire un exercice. C’est un peu comme si nous prenions un microscope pour regarder sa propre expérience. Et si vous le faites même un quart d’heure régulièrement, le ton de votre journée s’en trouvera changé.

En ce sens, la manière dont vous continuez vos activités quotidiennes va s’en trouver bien sûr pleinement transformée. Un plus grand sens de présence viendra à vous, comme par surprise. Vous serez moins centré sur vous-même, vous aurez moins peur de vous ouvrir à la magie de l’existence. 

A-t-on besoin d’un enseignant pour pouvoir pratiquer ? J’ai l’impression qu’il n’est pas possible de se mettre à la méditation sans professeur ou « maître spirituel ». Qu’en pensez-vous ?

Il est tout à fait possible de pratiquer seul chez soi. C’est même pour cette raison que j’ai enregistré ces méditations guidées. 

Mais cependant avoir un maître et pratiquer en groupe peut être à un moment donné une aide, si l’on souhaite approfondir sa pratique et en faire un véritable chemin de vie. La méditation est une science subtile qui ne peut être complètement transmise par des enseignements écrits. Le maître connaît le disciple et peut ainsi le guider à travers les difficultés qui lui sont propres à mesure qu’elles surviennent.

Les textes comparent parfois la pratique de la méditation à l’apprentissage d’un instrument de musique. Tout est affaire de doigté et de juste vision. Le maître est d’abord celui qui vous initie à cette subtilité et sait vous guider par son expérience, par la sûreté de sa vision et par sa connaissance des textes. Il vous montre ainsi un chemin.

À un niveau plus profond, il vous ouvre aussi son cœur. 

Mais un conseil : soyez vigilant et examinez attentivement le centre où vous allez. Il importe de ne pas se laisser influencer : un enseignant réel est simplement quelqu’un dont les propos vous parlent de telle manière que ses instructions vous permettent de mieux vous comprendre et de mieux vous ouvrir au monde. Méfiez-vous des gourous ! De ces maîtres que tout le monde suit, sans jamais les rencontrer directement, face à face, de cœur à cœur, et que toute une communauté admire aveuglément. Ce n’est pas cela qui va vous aider à mieux pratiquer. Ne vous laissez pas impressionner. Gardez toujours votre esprit critique. 


Puis-je me mettre à méditer alors que je suis dans un état de préoccupation ou d’énervement ?

C’est même une situation parfaite ! On ne pratique pas la méditation parce que tout va bien, comme on peut aller au bord de la mer se faire dorer sur le sable. On médite pour travailler concrètement avec son énervement, sa peur, sa colère, son désespoir, sa jalousie. 

Et même, plus précisément, nous apprenons à rester avec l’émotion pénible au lieu de fuir la tête la première. Vous pouvez ainsi apprendre à éviter que vos irritations se transforment en affirmations dogmatiques et définitives « je suis en colère à cause de ton comportement », mais aussi à aplanir les difficultés en prétendant que tout va bien. Ni fuir ce qui survient, ni le justifier. Autrement dit, nous ne propageons pas la tendance à fuir les expériences pénibles. 

Vous êtes énervé, la méditation vous permet de découvrir que ce n’est pas en le regrettant ou à l’inverse en montant sur vos grands chevaux que vous allez arranger la situation. 

Existe-t-il des pratiques méditatives destinées spécifiquement à augmenter l’estime et l’amour de soi ?

La pratique de la méditation est profondément une manière d’apprendre à devenir ami avec soi. A faire la paix avec ce que nous sommes. Je crois même que c’est là l’un des points les plus essentiels. Et cela se fait non en passant par une réflexion cérébrale, en essayant de se convaincre, mais d’abord en apprenant à faire attention à ce que nous vivons. Sans nous juger. Sans nous en vouloir. Simplement prendre contact avec ce qui arrive.

Nous découvrons que ce qui en nous nous irrite n’est pas aussi affreux que nous le pensons. Nous sommes bien moins terrible que nous le croyons au fond de nous. Inutile de nous dénigrer ou à l’inverse de se rassurer en étant toujours plus vaniteux et voulant que les autres vous rassurent. De toute façon c’est inutile. La seule façon d’avoir confiance est de toucher la bonté inhérente de notre propre existence. Découvrir nos propres ressources. Comme il est bon d’être un être humain. 

Il existe aussi des pratiques spécifiques visant à développer le sens d’amour — et que je présente aussi dans le coffret. De manière surprenante souvent pour nous Occidentaux, elles commencent toujours par soi. Laisser l’amour prendre toute sa place vous inclut nécessairement en lui. Aimer quelqu’un ce n’est du reste pas le vouloir, avoir besoin de lui, être malheureux sans lui mais sentir que vous êtes liés. Sentir que vous n’êtes plus séparés. Que quelque chose vous unit. L’amour est ce qui unit — comment pourrions nous aimer qui que ce soit, sans être inclus dans cet amour ? 

J’ai acheté un dvd sur la méditation guidée, mais je trouve la pratique très délicate car je n’arrive pas à « visualiser » quoi que se soit. Quels sont vos conseils ?

Il existe de très nombreuses formes de méditation. Je crois important pour nous Occidentaux vivant au XXIe siècle, de commencer par pratiquer la méditation telle que je la présente ici. Sans récitation de mantra et sans visualisation. Simplement s’asseoir. Apprendre à être présent. Découvrir et comprendre son esprit pour devenir ami avec soi. Je ne vois pas comment sans cette base solide les autres approches peuvent être autre chose que du folklore. On joue avec des énergies sans comprendre leur rôle dans l’économie générale du chemin. Et évidemment la pratique reste alors abstraite, les visualisations semblent au mieux des fabrications mentales ou des exercices surréalistes. 

Quelle est la différence entre la méditation zen et la méditation bouddhiste ? 

Le zen est une forme de bouddhisme qui s’est développé au Japon. Elle vient du Tchan chinois. Sa compréhension de la méditation est d’une grande subtilité qui ne diverge pas fondamentalement de celle développée dans l’Asie du Sud-Est sous le nom de Vipassana ou encore des formes propre au monde tibétain. 

Personnellement, je dois beaucoup à des maîtres de ces trois grandes traditions et le fait de pouvoir les étudier chacune est une chance profonde. 

En revanche, je crois vraiment important de ne pas confondre l’aspect culturel — japonais, tibétain ou birman — avec la vérité de la méditation. Manger des sushis ou des momos (raviolis tibétains), porter un kimono noir ou un chuba, chanter avec une voix grave des textes japonais que l’on ne comprend pas ou frapper sur un grand tambour, n’est pas se familiariser avec son esprit et avancer sur le chemin ! 

Faut-il être bouddhiste pour pratiquer la méditation ? 

Nullement. La pratique de la méditation comme discipline pour travailler avec son esprit et ce que nous sommes n’est pas liée à une tradition religieuse particulière. Et par exemple de nombreux moines et moniales chrétiens pratiquent la méditation qu’ils incorporent à leurs pratiques religieuses. Ce qui importe n’est pas d’adopter une identité, fut-elle « bouddhiste », mais d’être prêt à entrer dans l’espace ouvert et de se confronter à nos crispations, nos peurs et nos espoirs. 

Vous pouvez donc découvrir la méditation quelles que soient vos convictions. 

Du reste, la Voie du Bouddha, dans sa perspective la plus subtile et profonde, ne vise pas à établir une sorte de manuel ou de catéchisme nous donnant des réponses à toutes nos questions. Elle nous invite à regarder au-delà de toutes les réponses que nous avons, à nous rencontrer d’une façon directe, sans peur. Dans notre nudité. Pour ma part, je crois que devenir « bouddhiste » et être convaincu par exemple de la vérité de l’impermanence, de l’interdépendance, du karma et de la vacuité ne veut au fond rien dire. Ce ne sont que d’autres concepts — qui ainsi nommés n’ont pas de sens réel. En revanche, si l’on considère que le bouddhisme est l’ensemble de tous les textes qui décrivent l’expérience de la méditation, la manière d’en discerner toutes les subtilités, une transmission vivante, alors il peut devenir passionnant d’explorer plus avant la richesse de cette tradition. Et les grandes notions bouddhistes deviennent alors des descriptions de notre expérience présente et non plus des dogmes exotiques. »

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